Michel Bois, collaboration spéciale, Le Soleil, Arts Week-end

Publié le 17 septembre 2005
 
Pour le collectionneur, comme le critique et l’amateur d’art, voir poindre la nouveauté chez un artiste que l’on observe et apprécie depuis plus de 20 ans demeure un moment privilégié. Retour en force sur Québec, en passant par la Finlande et Paris, pour le graveur Louis-Pierre Bougie.

Il faut aller voir, à la galerie Lacerte, les très curieuses et très sombres oeuvres du graveur Louis-Pierre Bougie. Sous le titre Absence de bruit, l’exposition contient près d’une vingtaine d’oeuvres sur papier ainsi qu’un livre d’artiste intitulé Terre brune regroupant 25 gravures originales accompagnées des poèmes de Michel van Schendel.

Les oeuvres montrent les multiples métamorphoses de l’humain en train de s’accomplir. La feuille n’en est plus une, mais un personnage empruntant à sa couleur et à sa courbe. Le vase n’en est plus tout à fait un puisqu’une sorte de lutin vient d’en sortir à travers les volutes d’un serpentin de fumée. Ni nues ni habillées, ce qui importe est la fluidité des silhouettes comme en état d’apesanteur, s’avançant au gré des mutations sur la mobilité du fil délimitant la frontière du minéral et du végétal. S’agit-il d’images de la fin ou du début de la vie ? Difficile à dire, chaque élément mutant apportant la lumière progressive sur l’identification de tout ce qui se cache dans l’ombre tout autour. Ce personnage ne rampe-t-il pas comme une chenille ? Et cette chenille n’est-elle pas la prolongation d’un bourgeon menaçant d’exploser sous les pressions soutenues de la sève et des sucs distillés par l’imaginaire ?… Vous l’aurez compris, ces oeuvres fonctionnent comme des écrans de ce que l’on pressent. Rien à voir avec le clinquant des images que l’on gobe d’un seul coup d’oeil. Car tout s’y joue entre le flou et la netteté. Comme si, à l’intérieur des halos de lumière, venait paraître, tour à tour, non pas la nature des formes, mais l’âme des choses.

Impression trouble
Au plaisir intense que procure l’exploration de ces oeuvres si admirables se mêle pourtant une impression trouble. Les postures insondables des corps trahissent une absence de communication et de chaleur humaine. À ce propos, Bougie confiait, il y a quelques années, à Stéphane Aquin, historien de l’art, qu’il cherchait avant tout à illustrer des choses très simples, des faits vécus ou vus. Et que ses personnages, silencieux, courbés, à la fois lourds et agiles, participaient du même état, soit une attitude, un sentiment et une fermeture de l’être face au monde.

Bougie a vécu quatre mois en Finlande, un pays où les gens parlent peu. Et où l’on vit dans l’absence de couleurs et l’obscurité durant une bonne période de l’année, m’a-t-il dit lors d’une entrevue téléphonique. Le titreAbsence de bruit vient de là.

Et aussi du fait qu’un seul concerto est venu, jour après jour, donner le rythme de la création des dessins qu’il a transportés à Paris, lieu de la réalisation finale des oeuvres sous les presses du prestigieux atelier de gravure Lacourière et Frélault, à Paris. Un lieu qu’il a fréquenté durant sept ans par le passé. Mais Bougie n’est plus un graveur au sens rigoureux de l’appellation. Ses oeuvres uniques empruntent aux techniques du dessin, de la peinture, du collage et de la gravure. Je n’expliquerai pas ici la manière de créer ces oeuvres, l’artiste détestant que l’on aborde le sujet. Je vous dirai par contre que tous les fanas de Bougie (et plus encore les artistes) iront scruter à la loupe l’un des modes de création les plus intéressants depuis des décennies en art actuel. Sur ce, je termine en soulignant queLouis-Pierre Bougie est un des membres fondateurs de l’Atelier circulaire de Mont-réal. Qu’il a ainsi permis le renouveau en gravure pour de multiples générations d’artistes plus jeunes que lui. Qu’il a approfondi sa démarche en Europe et aux États-Unis. Que les oeuvres du Trifluvien se promènent partout dans le monde, sans oublier de dire qu’elles font partie de multiples collections publiques et privées, ce qui leur confère une cote internationale plus qu’enviable. On peut rencontrer l’artiste, aujourd’hui, jour du vernissage de l’exposition, entre 14 h à 17 h.

Absence de bruit, de Louis-Pierre Bougie, galerie Lacerte, 1, côte Dinan, jusqu’au 2 octobre